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« Des huiles frauduleuses plombent le marché des biocarburants »

Depuis la fin de 2022, la prime bas carbone proposée par Saipol (démarche Oleoze) a été divisée par trois à cause de ces importations d'huiles usagées frauduleuses.

Selon Saipol, les objectifs d’incorporation d’énergie renouvelable et de décarbonation en Europe sont remplis en grande partie par un afflux d’huiles soupçonnées d’être frauduleuses en provenance de l’Asie. En conséquence, les prix dégringolent.

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Les huiles usagées (« Uco » en anglais pour « Used Cooking Oil ») peuvent être utilisées pour la fabrication de biocarburants. Une seconde vie favorisée par la réglementation européenne, qui leur octroie certains avantages. Elles bénéficient notamment d’un « double comptage », c’est-à-dire que la réglementation leur donne le double de leur valeur énergétique dans les ambitions d’incorporation d’énergie renouvelables dans les pays de l’Union européenne. Considérées comme des déchets, elles ont un bon niveau de réduction de gaz à effet de serre, autour de 90 % par rapport au gazole.

Des huiles pas toutes usagées ?

Un système « qu’il faut pousser et valoriser, estime Isabelle Weber, directrice des affaires réglementaires chez Saipol, le 12 décembre lors des Rencontres Oléopro 2024. Ces matières sont difficiles à collecter. Il faut aller faire le tour des restaurants, et elles nécessitent des traitements particuliers. » Seulement, en sept ans, les volumes d’huiles usagées ou de biocarburants fabriqués à partir de ces huiles usagées importés dans l’Union européenne ont été multipliés par sept.

« En 2023, 2,9 millions de tonnes (Mt) de biocarburants avec une source d’huiles usagées sur le territoire de l’Union européenne étaient en provenance de l’Asie, indique Isabelle Weber. Au regard de ces volumes, la seule conclusion c’est qu’il y a de la fraude. Ces huiles ne sont pas toutes usagées mais comptent probablement aussi des huiles vierges, et notamment de palme dont on connaît le caractère déforestant. »

« Cet afflux massif vient remplir les mandats des pays membres, et en premier lieu celui de l’Allemagne, qui est un mandat de réduction de gaz à effet de serre », décrit la spécialiste. Selon Saipol, ces huiles frauduleuses saturent les marchés, au détriment d’autres produits, notamment nationaux. « Elles prennent la place de produits issus de cultures agricoles sur lesquelles on encourage les réductions de gaz à effet de serre. Par exemple la prime bas carbone qui vise à mieux rémunérer les graines provenant d’exploitations ayant des pratiques régénératrices. Entre la fin de 2022 et aujourd’hui, cette prime a été divisée par trois, en grande partie à cause de ces importations », déplore Isabelle Weber.

Un défaut de contrôle dans les États tiers

Le défaut de contrôle et de traçabilité dans les États tiers est pointé. « En Chine, on sait que des auditeurs valident sans même pouvoir rentrer dans les usines, sans avoir fait l’effort de voir d’où vient la matière première, comment elle est traitée et quelles réductions de gaz à effet de serre sont associées. Il y a une vraie différence de traitement avec les fabricants de biocarburants sur le marché français ou allemands, qui sont audités chaque année », constate Isabelle Weber.

Saipol, en collaboration avec la Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux (Fop), s’est saisi du problème. « Aujourd’hui, la fraude est sur les huiles usagées chinoises, demain cela pourrait être sur d’autres matières premières. C’est un sujet qu’il faut traiter en profondeur », insiste-t-elle. L’association européenne des producteurs de biodiesel (European Biodiesel Board ou EBB) a interpellé la Commission européenne à plusieurs reprises. « Le Copa (Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne) agit aussi dans ce sens-là, mais pour l’instant rien ne bouge comme on le voudrait. »

Les autorités nationales et européennes interpellées

Quelques actions ont été menées par des États Membres. « L’Allemagne a porté plainte l’année dernière, car c’est sur le marché allemand que la situation se cristallise particulièrement. La France, les Pays-Bas, l’Irlande ont écrit à la Commission européenne pour lui demander de prendre des mesures. Une action antidumping a également été initiée, car en plus d’être importés en masse dans l’UE, ces produits rentrent à bas prix », retrace Isabelle Weber. L’Italie a interdit le double comptage pour les produits qui n’étaient pas fabriqués dans l’Union européenne. « Nous aimerions que les autorités nationales aient le courage de protéger leurs marchés », rapporte-t-elle.

Des droits additionnels à l’importation ont été obtenus, mais « ce n’est pas suffisant », juge l’experte. « Le problème à traiter est celui de la fraude », ajoute-t-elle. Surcharges, ne pas se froisser politiquement avec la Chine… Plusieurs raisons expliquent que la Commission européenne ne se mobilise pas sur ce sujet. La situation n’est toutefois plus tenable, estime Isabelle Weber. « La Commission européenne a enfin annoncé la mise en place d’un groupe de travail sur le sujet. L’EBB a dressé une liste des mesures que l’on souhaiterait voir modifiées dans la réglementation pour renforcer le pouvoir de contrôle des États membres dans les États tiers. »

Elle prévient : « Si la Commission européenne n’agit pas rapidement, on ira potentiellement sur des voies judiciaires pour l’y pousser. »

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